On a marché sur la lune

 

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Récit d’une initiation à l’alpinisme

Photos et texte : Louise Garin

Avant de raconter cette aventure, et avec le recul que j’ai à ce jour, il faut savoir que je partais naïve, en ignorant autant la pratique de l’alpinisme que l’environnement de la haute-montagne. J’avais pourtant foulée de hauts sentiers, mais lorsque l’on quitte la randonnée pour l’alpinisme, c’est un monde nouveau qui s’offre à nous.

Nous sommes cinq à vivre l’aventure : Matthieu, Aurélie, Michael, notre guide de haute-montagne Bruno et moi-même. Tout commence au pré de Madame Carle suite à une matinée de grimpe en « grosses » (chaussures d’alpinisme). La route qui y mène depuis Ailefroide, repaire de grimpeurs, est sublime ! C’est ici que les choses sérieuses commencent…! Nous partons pour deux nuits dans la montagne, il ne faut emporter que l’essentiel ! Évidemment plusieurs couches sont nécessaires pour palier au froid qui nous attend, mais aussi le matériel : casque, baudrier, piolet, bâtons, crampons.

Le début de l’aventure commence par une randonnée. Ce chemin, déjà, a une autre saveur. Nous savons qu’il nous mène ailleurs, et qu’il nous fera entreprendre une autre façon de rejoindre les sommets des Ecrins. Cet ailleurs, seuls certains l’appréhendent. Cette première étape nous donne déjà un bel aperçu sur les montagnes et le glacier qui s’impose déjà au loin.

Nous arrivons au refuge du Glacier Blanc à 2542 mètres d’altitude. L’air change, il est plus frais. Nous apprenons à enfiler nos rampons pour le lendemain. Ce soir-là, nous sommes à l’aube de vivre une expérience unique. Le manque de connaissance crée une certaine excitation, éveille notre curiosité en nous faisant imaginer ce que l’on va découvrir.

La première course commence à 4 heures du matin ! Le refuge est en ébullition, chacun s’active à s’habiller et se préparer pour partir avec sa cordée ! La météo est clémente. Nous quittons le refuge avec les lampes frontales, il nous reste un peu de marche avant d’arriver au pied du glacier. Une fois rejoint, c’est le moment d’enfiler nos crampons et nous encorder.

L’aube nous laisse découvrir le glacier sous nos pieds qui mène jusqu’aux pics des Ecrins : la pointe Mettrier, la barre blanche, la noire, et celle des Ecrins.

On évolue sur ce sol nouveau, inconnu jusqu’alors. Les montagnes nous entourent, elles sont grises, hostiles. Il n’y a plus rien d’autres que cette nature imposante, menaçante mais aussi envoutante. D’un coup, nous sommes dans une autre dimension. Nous marchons sur la lune.

Sur le glacier s’est déposé du sable du Sahara ! Quel comble de trouver un peu de désert ici ; un peu de chaleur dans ce monde glacial. La cordée évolue ensemble, nous sommes un groupe, soudé. Nous avançons pas à pas. On enjambe les crevasses en découvrant des formes toutes plus artistiques les unes que les autres.

Le soleil se lève et perce aux travers des nuages. Nous entendons au loin deux bruits sourds, coup sur coup. Le glacier vient de casser à son extrémité.

Nous évoluons ainsi jusqu’au pied du pic du glacier d’Arsine. Notre projet est de faire l’arrête jusqu’au point culminant à 3365 mètres. Du glacier, nous marchons maintenant sur un sol fait d’amas de débris rocheux, les moraines. C’est un château de cartes sur lequel il faut poser précautionneusement les pieds. Le sol rocailleux laisse place à la neige. Sur celle-ci il faut marquer sa trace, en s’aidant des piolets comme une canne. Le haut de ce pic est brut, minéral, la neige a disparu. Nous évoluons sur l’arête et grimpons les rochers qui nous mènent vers le sommet. Dans un environnement vertigineux, notre guide choisit des pas aériens ! Wow. Ga y est ! Nous y sommes, au point culminant de ce pic du glacier d’Arsine !

Cela faisait longtemps que je souhaitais marcher sur une arête, cela m’attirait plus que d’aller au sommet d’une montagne ! Nous posons l’instant en nous mettant de l’autre côté du versant, face à une mer de sommets de montagnes. C’est vertigineux ! À ce moment, les émotions jaillissent ! Comme un trop-plein de tant de choses, qui sont difficiles à analyser à ce stade de l’aventure. Cette rencontre sans précédent avec la haute montage est intense ! Elle ne peut laisser insensible !

Nous redescendons par la même face, mais sans reprendre l’arête Michael ouvre la cordée d’abord dans les éboulis de cailloux, puis dans la neige. Avant de rejoindre le prochain refuge, nous faisons une pause au soleil. Notre guide nous fait découvrir quelques manipulations et techniques de sauvetage tel que le mouflage. 

Il nous reste un peu de marche pour nous rendre au refuge des Ecrins. Jusqu’à la fin de la course, la vigilance reste de mise. En alpinisme, chaque pose de pieds doit être mesurée. Le refuge des Ecrins que l’on aperçoit au loin se confond dans la montagne, il est là posé en haut du rocher. Un abri pour ceux qui bravent la haute-montagne, qui se préparent à une prochaine course alpine.

Après une course pleine d’émotions, de découvertes et de partages, nous sommes là-haut ! Là-haut dans cet endroit reculé, dans un monde alpin, où seuls ceux qui rêvent de sommets sont présents. Par les fenêtres, le spectacle de la montagne s’offre à nous. À l’intérieur, les alpinistes jouent aux cartes ou étudient la course du lendemain en attendant le bulletin météo. L’ambiance est à son comble, tout le monde mange ensemble, et tout le monde dort ensemble. C’est le moment de reprendre des forces avant de repartir le lendemain. 

Vivre ure expérience comme celle-ci est extraordinaire à bien des niveaux. Elle est presque violente tant l’intensité de ce qui est vécu est fort ! Il n’y a rien de comparable à cet environnement minéral où l’homme n’a plus sa place. Cependant, on ne peut que s’incliner face à cette nature, et apprendre à la vivre comme elle l’entend. On ne s’invente pas alpiniste d’un jour, il y a beaucoup à connaître avant de s’aventurer au-delà des sentiers de randonnées. Et pour cela, d’être accompagné d’un guide est la clé. Avant de partir, je sentais bien que cela allait être quelque chose d’unique ! Mais je ne m’attendais pas à être aussi touchée par tout ce qu’englobe l’alpinisme. Il m’aura fallu quelques jours pour digérer cette expérience de vie incroyable. J’ai été impressionnée, dans le sens brut du terme, cela a eu un impact émotionnel très fort.